Ce vendredi 22 juin 2018, l’Eurogroupe (la réunion des ministres des finances de la zone euro et la BCE), accompagné du FMI, a annoncé en grande pompe, après une nuit de négociations, un nouvel accord concernant la Grèce. Un accord « historique » qui sonnerait le glas de la crise grecque. On lit ainsi dans tous les médias qu’ « une page se tourne pour la Grèce », que « la parenthèse de l’austérité est refermée », « que la crise grecque s’achève » et que « le problème de la dette grecque est désormais derrière nous »…
Pourtant, à y regarder de plus près, cet accord s’inscrit tout à fait dans la lignée des précédents et des politiques imposées à la Grèce jusqu’à aujourd’hui. C’est-à-dire préserver les intérêts des créanciers au détriment du peuple grec.
En avril 2010, l’Union européenne et le FMI ont poussé la Grèce, fortement secouée par la crise provoquée par les banques qui avaient généré une bulle du crédit privé après que de fausses statistiques aient été publiées par le gouvernement social-démocrate de l’époque, à signer un prêt de 110 milliards d’euros. Ce prêt a servi à rembourser les grandes banques, essentiellement françaises et allemandes, qui étaient embourbées en Grèce et craignaient de ne pas revoir leur argent. La Grèce a donc payé cher pour permettre aux banques privées de se retirer du pays sans encombre. Dans le même temps, plusieurs plans d’austérité très durs ont été adoptés sous la pression des créanciers et l’espoir suscité par l’arrivée au gouvernement de Syriza s’est envolé suite à la capitulation de son leader Alexis Tsipras face au chantage des institutions européennes. Ainsi, la Grèce est toujours totalement soumise aux diktats imposés par la « Troïka » (FMI, Commission européenne, Banque centrale européenne, le Mécanisme européen de Stabilité), qui est le véritable pilote de l’économie grecque. Les prêts consentis à la Grèce à partir de 2010 ne cherchaient en rien à servir les intérêts de la population hellène, bien au contraire puisque les plans d’austérité mis en place ont comporté de multiples violations des droits garantis par plusieurs traités internationaux.
L’accord sur la dette grecque intervenu le 22 juin 2018 constitue un leurre : il n’y a aucune réduction du stock de la dette grecque qui représente près de 180% de son PIB. De plus, le gouvernement de Tsipras s’est engagé à dégager un surplus budgétaire primaire année après année ce qui va empêcher l’amélioriation des conditions de vie de la population grecque et va maintenir le pays sous une forme de protectorat. Il s’agit simplement de reporter de dix ans le début de certains remboursements, notamment ceux dus aux partenaires européens de la Grèce. Les montants à rembourser au Fonds monétaire international, à la Banque centrale européenne et aux créanciers privés, sont très importants et ils ne sont pas reportés dans le temps. Ils ont lieu en permanence. Le FMI a fait 5 milliards d’euros de bénéfices sur le dos de la Grèce depuis 2010 et la BCE a, quant à elle, fait au moins 8 milliards de gains sur les titres grecs.
Pour bénéficier de la dernière tranche du troisième plan d’aide, Tsipras s’est engagé à mettre en œuvre pas moins de 88 mesures néolibérales et anti-populaires supplémentaires.
Le problème de la dette grecque n’est pas pris à sa racine et il nous semble important de rappeler les principales causes structurelles de l’endettement du pays :
· en pourcentage du PIB, la Grèce est en 3e ou 4e position dans la liste des pays qui dépensent le plus en armes au niveau de la planète obnubilé comme l’est le gouvernement grec, sous la pression d’une armée héritière de l’époque des colonels, par la menace turque ;
· l’incapacité des gouvernements grecs successifs à faire payer des impôts aux armateurs ;
· l’emprise immobilière et territoriale de l’église orthodoxe qui empêche tout développement économique et prive l’Etat de ressources fiscales.
Ces causes structurelles auxquelles s’ajoutent les causes conjoncturelles déjà explicitées autour de la folle bulle de crédit à la consommation accordé par des banques irresponsables profitant de l’arrivée de l’euro, posent la question de l’insoutenabilité de la dette , question qui va revenir plus vite que l’Eurogroupe veut le faire croire. Même le FMI reste sceptique. Plus grave peut-être, le remboursement de cette dette n’est jamais mis en cause mais considéré comme allant de soi. Alors qu’il est notoire que la dette remboursée aujourd’hui par la Grèce est illégitime, odieuse et illégale, comme l’a étayé la Commission pour la vérité sur la dette grecque mise sur pied en avril 2015 par l’ancienne présidente du parlement grec.
La Grèce est dans un état lamentable. La chute du PIB par rapport à 2009-2010 est de près de 30%. Du point de vue des indicateurs macro-économiques, la Grèce est en mauvais état. 350 000 jeunes hautement qualifiés sont partis vers l’Allemagne, la France et d’autres pays du nord de l’Europe. La Grèce sera en évolution démographique négative, mis à part l’apport des réfugiés que le pays accueille, qui ont permis en 2017 de maintenir l’équilibre. Désormais, on va passer à une décroissance de la population grecque. Le taux de chômage chez les jeunes atteint environ 40%. Selon les chiffres d’Eurostat, 47% des ménages grecs sont en défaut de paiement sur l’un de leurs crédits et le taux de défaut sur les crédits dans les banques est également à plus de 46,5%. Que ce soit concernant l’emploi, le système financier et la production, la situation est extrêmement mauvaise et elle est le résultat des politiques imposées à la Grèce. Le pays est une victime expiatoire des politiques appliquées dans l’Union européenne.
Ne croyons pas en France, que nous soyons épargnés par ces mécanismes de dette illégitime : le cas des prêts « toxiques » est éclairant. Pendant des années, les banques ont proposé à des emprunteurs publics locaux français (collectivités locales, hôpitaux, offices HLM…) des prêts à taux réduits et fixes pendant une courte période, puis indexés sur des indicateurs qui peuvent être extrêmement volatils, notamment l’écart de parité entre l’euro et le franc suisse. La crise a fait se déprécier l’euro face à la monnaie helvétique et les taux ont explosé, pouvant dépasser le taux exorbitant de 30 %. Selon une commission d’enquête parlementaire, 5 000 collectivités étaient concernées, dont 1 800 communes de moins de 10 000 habitants démarchées en majorité par la banque Dexia. Les montants concernés à l’échelle de la France sont colossaux : 18,8 milliards d’euros pour l’encours des emprunts à risque, dont 13,6 pour les seules collectivités territoriales, allant jusqu’à les priver de leur autonomie et de leur souveraineté.
Le problème aujourd’hui, ce n’est pas la Grèce, mais l’Allemagne, et plus largement le fonctionnement de la zone euro. L’excédent commercial allemand atteint maintenant 9 % du PIB. Elle devrait normalement être sanctionnée par la commission. Le « modèle allemand » consiste à prendre des activités et des emplois aux autres. Cela n’est pas vertueux, ce modèle n’est pas exportable: tous les pays ne peuvent pas être en excédent. La zone euro elle-même est en situation d’excédent sur le reste du monde. Elle est un boulet pour la planète car elle ne dépense pas assez. L’euro tel qu’il est conçu conduit les pays européens à se livrer une guerre commerciale afin de se prendre des activités et des emplois, en comprimant les salaires et la dépense publique, en se livrant une concurrence sociale et fiscale. C’est une course vers l’abîme.
Voilà l’Europe que le vampire ordo-libéral bruxellois nous prépare et cette Europe là nous n’en voulons pas ! Nous voulons une Europe sociale et respectueuse des biens communs, une Europe non soumise à la finance, une Europe des cultures, une Europe généreuse et ouverte sur le monde !